La proche-aidance. Une définition, un regard.

Se reconnaître

Le premier défi pour un proche aidant, c’est déjà de s’accepter en tant que tel.

Pour beaucoup d’entre nous, devenir aidant est souvent un événement soudain, perçu comme une simple extension de nos responsabilités. Après tout, aider fait partie de nos valeurs et répond à un devoir culturel. Alors, quand un proche – enfant, parent, ami – devient vulnérable, notre réflexe naturel est de l’accompagner.

Dans cette logique, “se faire aider en tant qu’aidant” peut vite devenir un sujet tabou, voire une source de honte. On préfère souvent l’ignorer plutôt que de l’accepter.

Le problème vient parfois de plus loin. La reconnaissance du rôle des aidants est en effet très récente. Depuis 20 ans, les pouvoirs publics essaient de favoriser l’inclusion de la vulnérabilité et du handicap. Pourtant, les actions et les décisions se concentrent principalement sur la personne touchée, en négligeant souvent son entourage.

Enfin, ce qui freine le plus la reconnaissance de soi comme proche aidant, c’est la nature même de cette situation. Elle découle souvent d’un événement soudain, malheureux et subi, rarement d’un choix.

La charge mentale et logistique qui en découle est immense, bouleversant les repères et les trajectoires de vie. Difficile alors, pour l’aidant, de prendre du recul, de reconnaître sa situation et de penser à sa propre santé.

Concluons cette première partie par une tentative de définition, qui nous rappelle tout de même, avec ses 20 ans d’existence, le peu de progrès accomplis sur ce sujet en deux décennies.

« L’aidant familial ou de fait est la personne qui vient en aide à titre non professionnel, pour partie ou totalement, à une personne dépendante de son entourage, pour les activités de la vie quotidienne. Cette aide régulière peut être prodiguée de façon permanente ou non. Cette aide peut prendre plusieurs formes. »

Définition du CIAAF (2004), portée par l’UNAF (2006)

Se dépasser

Lorsqu’on devient aidant, que l’on en soit conscient ou non, les premiers défis apparaissent rapidement.

Tout d’abord, il y a le changement de vie et la prise de conscience du bouleversement qu’il provoque. Cela implique une perte de repères, des doutes, la nécessité de s’adapter et parfois de repenser complètement sa trajectoire.

Être aidant, c’est souvent accompagner la personne dans son autonomie. Cela engendre non seulement une réflexion constante, mais aussi une charge physique (mouvements, port de charges, assistance…) et financière (surcoûts liés aux activités et aux adaptations nécessaires).

Nous avons la chance de vivre dans un pays où l’action sociale et les aides associées sont bien plus développées que dans la plupart des pays du monde. Et pourtant… Un nombre important d’heures d’auxiliaire de vie à domicile, la nécessité d’un véhicule adapté, l’achat d’un fauteuil roulant, ou encore l’aménagement d’une chambre ou d’une salle de bains pour répondre aux nouveaux besoins peuvent encore représenter des milliers d’euros à la charge de chaque famille.

Enfin, l’équilibre entre vie personnelle et professionnelle peut être fortement perturbé, du moins au début, le temps de retrouver ses marques et de se réorganiser.

Je ne compte plus les exemples, autour de moi, de personnes qui ont rencontré de grandes difficultés professionnelles, voire perdu leur emploi, lorsque leur employeur a dû intégrer les contraintes liées à leur rôle d’aidant – sans en percevoir les bénéfices. Et cela, y compris dans des institutions qui prônent pourtant des valeurs de développement et d’inclusion, ou dont c’est justement le cœur de métier.

Mais d’autres défis, parfois plus insidieux et moins perceptibles, viennent s’ajouter à tout cela.

Prenons, par exemple, les problématiques d’hygiène de l’aidé. Qui d’entre nous est mentalement préparé à laver ou à aider à aller aux toilettes un parent ou une fille devenue jeune adulte ? Où s’arrête le rôle de l’aidant et où commence celui du soignant ? Où poser les limites en tant que parent, adulte, enfant, aidant ?

Au-delà des aspects logistiques et financiers, la charge mentale, et surtout émotionnelle, est immense. Bien que notre époque tende à valoriser les émotions et les « soft skills » autant que la gestion et l’action, il est souvent difficile d’affronter ce tourbillon de sentiments nouveaux.

Cette surcharge peut facilement conduire l’aidant à s’oublier, notamment en termes de santé, créant ainsi le risque d’aggraver la situation pour tous. Même lorsque l’aidant parvient à prendre un peu de temps pour lui, un sentiment de culpabilité peut vite l’envahir : « Je n’en fais pas assez », « je profite alors que l’autre souffre », « je n’ai pas le droit de m’arrêter »…

Quand on est aidant, tout devient plus complexe, tout est à anticiper. Une aide à domicile malade ? Un trajet en train à organiser ? Une réservation de vacances ? L’entrée d’un restaurant adaptée ? Une soirée entre amis ? Le planning des soins ? Les démarches administratives ? Même prendre un bain ou passer une bonne nuit peut devenir un défi.

Des grands projets aux petits gestes du quotidien, ce qui paraît simple pour la plupart devient, pour l’aidant, une constante anticipation, une démonstration de résilience et d’adaptabilité.

Le manque d’information générale ne facilite pas les choses. Lorsqu’on devient aidant du jour au lendemain, par où commencer ? Si notre parent a besoin d’un accompagnement quotidien, qui contacter ? Quand notre enfant porteur de handicap arrive à l’âge d’être scolarisé, vers qui se tourner ? Et lorsque, en tant qu’aidant, on est à bout, qui peut nous soutenir ?

Se rencontrer

La liste est déjà longue. Et pourtant, je n’ai pas encore mentionné la difficulté la plus pernicieuse : le risque de l’isolement social. Ne plus affronter le regard des amis, gênés par la situation. Ne plus s’autoriser un moment d’indisponibilité pour une simple soirée. Ne plus avoir le budget pour assumer les coûts supplémentaires.

Le repli sur soi n’est alors jamais bien loin. Et il peut créer un cercle vicieux, rempli d’ennui, d’anxiété, de doute, d’épuisement, de tristesse, et parfois même de dépression.

Cet isolement social est, à mes yeux, à la fois une conséquence et la cause profonde de tous les maux évoqués ici. Il les provoque, les nourrit, puis s’en alimente à son tour.

Il est difficile pour un aidant de se reconnaître en tant que tel lorsqu’il est coupé de tous et incapable de rencontrer ses pairs.

De même, il est compliqué pour les institutions, les pouvoirs publics et les associations d’initier « l’aller-vers », c’est-à-dire de venir au contact et en soutien des aidants sans pouvoir les identifier ni les rencontrer.

Certes, des lieux institutionnels existent, comme la MDPH, l’hôpital ou les centres médico-sociaux. Mais pour l’aidant, ces endroits sont souvent connotés et viennent alourdir une charge mentale déjà bien lourde.

C’est pourquoi il est essentiel de fournir à l’aidant :

  • La reconnaissance et le soutien nécessaires à son statut,
  • Un accès privilégié et dédié à l’information,
  • Des moments de bienveillance et de repos,
  • Un lieu de référence, neutre, qui ne lui rappelle pas immédiatement la lourdeur de sa situation.

Slides et Texte issus d’une intervention que j’ai eu l’occasion de réaliser à l’Assemblée Générale de l’UDAF de la Somme. En mai 2024, dans le contexte d’une présentation de projet de Tiers-Lieu pour proche-aidants.

Au-delà de sa dimension militante, j’espère que ce texte permettra aux lecteurs aidants de se reconnaître et, qui sait, de s’autoriser (un peu) à se faire aider eux aussi.

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Une réponse

  1. Avatar de Suraiya Behardien
    Suraiya Behardien

    Brilliant explains some of the challenges and emotions experienced by carers.

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